La fatigue reliée au cancer : la comprendre pour mieux la soulager
Il fut un temps où l’on conseillait le repos total aux personnes atteintes de cancer pendant les phases de traitement et de convalescence. Cette recommandation est a priori logique, puisque 50 à 96% des personnes atteintes de cancer souffrent d’une très grande fatigue qui est aggravée par les traitements conventionnels de chimio- et de radio-thérapie. La fatigue affecte aussi terriblement les personnes qui choisissent des alternatives naturelles peu ou pas toxiques. Cette fatigue constitue une des atteintes les plus sévères à la qualité de vie des patients atteints de cancer. La littérature scientifique des dernières années permet de mieux comprendre les causes de la fatigue reliée au cancer et pourquoi, paradoxalement, le repos complet peut nuire à la véritable guérison.
Le calvaire de la fatigue reliée au cancer
Nous avons tous fait l’expérience de la fatigue à un moment donné de notre vie. Nous en connaissons la plupart du temps la cause : un excès de travail ou d’activité, un manque de sommeil ou un rythme désorganisé, des préoccupations qui affectent notre vitalité et nous empêchent de récupérer, des relations qui “pompent notre énergie”, etc. Dans toutes ces situations, nous savons également comment récupérer de cette fatigue. Il suffit de se reposer, de dormir, de se ressourcer et la fatigue disparaît. Malheureusement, la fatigue liée au cancer est de nature bien différente. Elle n’est soulagée ni par le repos, ni par le sommeil. C’est une fatigue persistante, inhabituelle, une sensation d’éreintement profond qui peut terrasser littéralement la personne pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Elle est accompagnée de difficultés d’attention et de concentration. Son intensité est disproportionnée par rapport au niveau d’effort objectivement déployé par la personne. En plus de subir cette fatigue incompréhensible, les patients doivent parfois endurer le jugement et l’impatience de leur entourage, qui peine à comprendre comment on peut être aussi fatigué après un repos total de plusieurs mois, surtout en absence de récidive cancéreuse.
Au moment du diagnostic, cette forme de fatigue est déjà présente chez 50 à 75% des patients. Elle affecte 80 à 96 % des patients sous chimio-thérapie et 60 à 93% des patients qui reçoivent de la radio-thérapie. Deux à dix années après la fin de tout traitement, 40% des survivants au cancer souffrent encore de fatigue sévère. Dans la littérature scientifique, les chercheurs en oncologie lui ont attribué un nom spécifique : “cancer-related fatigue” en anglais, c’est-à-dire “fatigue reliée au cancer”. Elle serait causée par une combinaison de facteurs : les cytokines reliées au cancer, la perturbation émotionnelle et affective, la crise existentielle face à la perspective de la souffrance et de la mort, l’anémie consécutive à la chimio- et à la radio-thérapie, mais aussi la perte de forme physique et de masse musculaire causée par le cancer, par la perte d’organes et/ou par les traitements médicaux. La contribution relative de ces facteurs varie d’une personne à l’autre, de sorte que pour un individu donné, il est difficile de déterminer la cause précise de la fatigue et de la soulager.
Le paradoxe de cette fatigue : le repos n’y fait rien !
D’un point de vue médical, face à un épuisement persistant, le bon sens recommande le repos dans la mesure du possible. De fait, les patients sont invités à se ménager et à se reposer autant que possible. Dans certains pays ou centres hospitaliers, des programmes de soutien ont ciblé la prise en charge de la fatigue reliée au cancer.
Au fil des ans, les professionnels de la santé qui se sont intéressés au phénomène ont observé que l’inactivité était nuisible aux personnes atteintes de cancer. Soulager cette fatigue nécessite non pas un repos passif, mais bien une démarche active. Ainsi, cette fatigue est révélatrice de besoins profonds. Les patients ont besoin de soutien pour comprendre ce qui requiert du changement dans leur vie. Ce qui les soulage et les aide à trouver le repos, c’est un accompagnement qui les aide à accomplir progressivement les transformations nécessaires à leur santé physique, émotionnelle, relationnelle et spirituelle.
Toutes les études de ces dernières années convergent vers le même constat : en plus de la nutrition et de l’hygiène du sommeil qui constituent la base fondamentale, il semble que les seules approches qui soulagent efficacement la fatigue reliée au cancer soient les activités qui offrent un soutien psychosocial et les programmes personnalisés d’activité physique. Examinons ces deux voies de solution.
1. Les activités de soutien psychosocial réduisent la fatigue reliée au cancer
Face au cancer, beaucoup de personnes se sentent incapables de maintenir une vie sociale active. Une remise en question de la dynamique sociale habituelle est en effet judicieuse, car l’influence de l’entourage peut parfois entraver le processus de guérison. Même s’il est bon de se préserver de la toxicité de certaines relations et d’entreprendre les changements nécessaires, le repli sur soi ne peut être une solution car l’absence de vie sociale a un impact négatif sur l’état de santé globale. En effet, les liens sociaux et les relations interpersonnelles sont fondamentales dans la guérison. C’est pour cette raison que les relations d’aide qui offrent un accompagnement des patients contribuent à la réduction de la fatigue reliée au cancer. Les activités de soutien psychosocial individuelles ou en groupe permettent d’entretenir une vie sociale positive et stimulante. Certaines activités ciblent l’acquisition de nouvelles compétences relationnelles qui peuvent être progressivement transposées dans la vie personnelle. L’apaisement et la transformation des dynamiques interpersonnelles est un facteur important de réduction de la fatigue reliée au cancer.
Les études comparatives menées dans plusieurs pays démontrent que les activités suivantes soulagent significativement le fatigue reliée au cancer :
- les thérapies de soutien et d’expression,
- les programmes de rééducation de l’attention,
- la méditation,
- l’accompagnement au changement,
- les massages
- la relaxation guidée,
- etc
Plus spécifiquement, les activités psychosociales qui soulagent efficacement la fatigue ducancer sont avant tout des relations d’aide axées sur une écoute et un accueil bienveillant du patient et des ses problématiques. L’accompagnement aide le patient à prendre conscience de l’origine de ses symptômes, à adopter une attitude et des comportements qui prennent soin de ses besoins profonds.
Pour ce qui est de la méditation, de la rééducation de l’attention, des massages et de la relaxation guidée, ces activités favorisent une connexion à soi, à son corps, dans l’instant présent. Ceci est fondamental pour faciliter l’investissement du patient dans son processus de guérison et lui redonner le pouvoir de transformer réellement ses habitudes de vie.
En résumé, la fatigue reliée au cancer n’est pas un simple éreintement physique. Le sommeil et le repos n’en viennent pas à bout. Par contre, elle est efficacement soulagée par un accompagnement psychosocial, axé sur l’expression du ressenti et sur le soutien au changement. C’est une preuve on ne peut plus claire que cette fatigue physique est au moins en partie l’expression d’une détresse existentielle. Cette détresse peut être liée à un contexte qui pré-existait au diagnostic du cancer, de façon consciente ou inconsciente. Mais elle peut être également liée à l’expérience du cancer, qui est une épreuve en soi pour l’immense majorité des gens.
2. Des activités physiques variées et personnalisées relancent la vitalité
S’autoriser un repos prolongé lorsqu’on est atteint de cancer et que l’on souffre de fatigue persistante est une attitude pétrie de bon sens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les études qui ont évalué scientifiquement les moyens de réduire la fatigue reliée au cancer démontrent non seulement que la fatigue n’est aucunement allégée par le repos et le sommeil, mais aussi que l’absence d’exercice physique aggrave la fatigue et retarde la récupération. Une activité physique régulière permet de réduire progressivement la sensation subjective de fatigue, mais surtout de regagner en vigueur et en vitalité. Ainsi, l’erreur serait de confondre repos et inactivité.
D’après les études récentes, les programmes d’exercice physique multimodaux, c’est-à-dire combinant plusieurs types d’activité, sont plus efficaces que les programmes unimodaux. Ils doivent inclure des exercices aérobics qui stimulent le système cardio-vasculaire, comme la marche rapide, la natation, le vélo ou la danse. Par ailleurs, ils doivent comporter des exercices de résistance qui renforcent la musculature. Pour être efficaces, ces programmes doivent cibler la réduction de la fatigue parmi leurs objectifs. Il est important de noter que l’intensité de l’activité physique doit respecter les possibilités de chacun. Pour les personnes dont l’état de santé ne permettrait pas un entraînement d’intensité soutenue, il est important de savoir que certaines activités physiques de faible intensité soulagent efficacement la fatigue et la douleur du cancer, notamment le yoga, le qigong, le tai-chi et autres formes d’étirements et de mouvements méditatifs.
Les programmes d’activité physique doivent être personnalisés, pour tenir compte des contre-indications, de la condition physique et pathophysiologique du patient et de ses goûts. Autrement dit, lorsque le centre médical n’offre pas de tels programmes, il est judicieux d’avoir recours à un professionnel qualifié pour suivre un programme d’entraînement physique pendant un cancer.
L’effet de l’exercice sur la fatigue varie en fonction de la phase de la maladie. Il a un effet palliatif pendant le traitement du cancer, y compris la chimio-thérapie et la radio-thérapie. Il permet de réduire la douleur et les effets secondaires, ainsi que la souffrance psychique. Après la période de traitement, l’activité physique agit moins sur la fatigue, mais permet de récupérer plus rapidement la forme, la vitalité, la vigueur et la qualité de vie. Par ailleurs, l’effet de l’activité physique dépend du type de cancer. Ainsi, c’est pour les cancers du sein et de la prostate qu’elle semble apporter le plus grand soulagement.
La fatigue reliée au cancer est l’expression d’une détresse physique et psychique : son soulagement nécessite une démarche personnalisée et holistique
De plus en plus de médecins et de professionnels de la santé reconnaissent la nature bio-psycho-sociale du cancer et cessent de le voir comme un simple dérèglement cellulaire génétique. Progressivement, la notion d’un traitement unique pour tous cède la place à un accompagnement personnalisé, humain, qui veille autant à éliminer la tumeur qu’à entendre et à soulager la personne qui en souffre (voir à ce propos l’entrevue du Dr Boukaram, radio-oncologue : cliquer pour y accéder). Grâce aux programmes de soutien qui s’intéressent à la qualité de vie des patients pendant et après le traitement, nous disposons d’un nombre grandissant d’études scientifiques qui confirment l’efficacité des interventions bio-psycho-sociales à soulager les patients de leur fatigue physique et existentielle. Toutes les analyses à grande échelle étudiant les facteurs qui améliorent la qualité de vie et la vitalité des patients le confirment : ces interventions ne sont efficaces que si la réduction de la fatigue fait partie des objectifs des programmes de soutien. Autrement dit, si une personne participe à des activités psychosociales ou physiques sans s’impliquer intimement ou sans se sentir écoutée et soutenue, ces activités seront un simple passe-temps et ne soulageront pas la fatigue. Ce qui est guérissant, c’est que la personne s’engage dans un cheminement et accepte de se faire aider dans ses problématiques individuelles, de manière évolutive, orientée vers le changement et vers le soulagement de la fatigue physique et psychique.
En fait de repos, les patients atteints de cancer ont davantage intérêt à comprendre la crise qu’ils traversent pour changer ce qui leur pèse, plutôt que d’espérer que cela passe tout seul. Mais c’est une démarche difficile et exigeante. C’est ce qui explique le succès de l’accompagnement psychosocial à atténuer la fatigue. Grâce à un soutien adéquat, le repos est apporté par la connexion au sens individuel et profond des symptômes de fatigue et par la transformation que les patients parviennent à accomplir.
De la même manière, le fait de bouger, de pratiquer des activités physiques variées, adaptées à l’état de santé et aux goûts personnels permet de métaboliser la fatigue et de regagner en vitalité. Notre système nerveux et musculo-squelettique est destiné avant tout au mouvement, à l’accomplissement de projets de vie. Le diagnostic de cancer, souvent reçu comme une sentence de mort, met le système à l’arrêt. Il devient difficile de renouer avec le mouvement, la vie, les projets. Focaliser son attention sur un programme d’activités variées dont l’intensité est juste assez élevée pour relancer la capacité du corps à se reconstruire permet de reprendre confiance dans ses propres ressources. C’est une source de motivation qui nourrit l’élan vital et les forces d’auto-guérison. Que ce soit au niveau cellulaire ou systémique, la vie a besoin de mouvement.
Conclusion
L’état actuel des connaissances scientifiques confirme que la qualité de vie des patients et l’atténuation de la fatigue physique et psychique nécessitent un investissement personnel dans une quête de sens. Les activités physiques et psychosociales orientées vers un mieux-être et un changement de vie sont à ce jour les stratégies d’adaptation les plus appropriées pour réduire la fatigue persistante reliée au cancer.
Retrouvez l’article de Cyrinne Ben Mamou
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